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mercredi 10 février 2010


JEAN ANTOINE DUPOUX MEUNIER DE MONTCLUS

Le moulin de Montclus existe depuis des siècles. Son emplacement au pied d'une gorge autrefois en partie fermée et d'un décrochement de la roche était un emplacement tout indiqué pour capter l'énergie hydraulique. Les fondations dégagées par Jean-Antoine Dupoux au cours de ses innombrables travaux de construction laissent penser qu'il actionna un martinet et une forge. Moulin féodal il appartint à la famille de Flotte, seigneurs de Montclus et de La Bâtie. Le chevalier de Bimard ,époux de Marianne de Flotte, en hérita au début du XVIIIème siècle. Veuf, ce dernier se remaria avec la Comtesse de Sade, cousine du scandaleux marquis de Lacoste. A la mort du Chevalier, Mme de Sade le vendit avec son droit de banalité, qui obligeait les manants à y moudre leurs grains, au père de Dupoux.Jean-Antoine Dupoux y naquit en 1772, dixième et dernier enfant d'un couple de meuniers dont tous les aînés étaient décédés en bas âge,il est âgé de 17 ans quand débutent les évènements révolutionnaires. Bien qu'ayant reçu une scolarité sommaire des enfants de paysans de l'époque, - dont il tiendra rigueur à ses parents -il est doué d'une intelligence,d'une curiosité et d'un esprit d'indépendance peu communs .Dupoux va épouser avec enthousiasme les idées révolutionnaires, tout en reprochant à cet évènement de l'avoir ruiné en abolissant les droits de banalité et ainsi être la cause de la plupart de ses malheurs. Mais il saura surmonter son dépit et restera un défenseur farouche des idées de l'époque. En effet, si la Révolution fut la cause de nombreux préjudices financiers pour quelqu’un très préoccupé par les questions d'argent, elle permit à cet homme imaginatif, en supprimant les entraves aux affaires, de développer un esprit d'entreprise aigü, bien que peu récompensé, « que l'ancien régime ne lui eût certainement jamais permis de révéler». S'il condamne les excès de la Révolution et lui reproche en particulier d'avoir engendré avec Napoléon, un nouveau despotisme, il en admire les idéaux de liberté et de laïcité, qu'il exprima dans un anticléricalisme virulent . On sait qu'il avait adhéré à la petite loge franc-maçonne qui existait alors à Serres.Cet anticléricalisme obstiné a entretenu plusieurs anecdotes amusantes transmises dans la tradition familiale et que m'a rapportées Mme Joshuan,son arrière-arrière-petite-fille . Ce personnage au verbe haut et à la personnalité très affirmée, fut aussi un père de famille très nombreuse. Il en attribue, avec justice, le mérite à son épouse, qui fut selon ses termes "d'une fécondité prodigieuse" puisqu'elle enfanta 13 fois. Ce compliment adressé à cette épouse effacée est d'autant plus méritoire qu'il reconnaît avoir convolé précipitamment et par quelque opportunisme pour échapper à la réquisition militaire et qu'il ne dissimule pas le regret de n' avoir pas épousé une femme mieux dotée. Elle fit en outre - à ses yeux - la prouesse de lui donner 12 garçons, aux destins divers et parfois tragiques, et dont il se plaint amèrement de l'ingratitude et de leur manque de soumission, mais avant tout des dépenses qu'ils lui occasionnèrent « sans aucun bénéfice ». Mais , personne n'étant parfait, cette épouse méritante donna naissance à un 13ème enfant de sexe féminin. Quand il l'apprit le meunier s'écria, paraît-il " c'est le diable qui me l'envoie". Ce propos, quelque peu paradoxal dans la bouche d'un «libre-penseur»,signifiait moins une solide mysoginie, que le sentiment très partagé jusqu'à une date récente par les hommes anticléricaux, selon lequel les femmes étaient incapables d'échapper à l'emprise de l'Eglise et, accessoirement, d'exprimer de nobles idéaux de liberté. Et de fait, par ironie (ou vengeance du sort), et suite à la défection ou à la disparition de plusieurs de ses fils, c'est cette unique fille qui répondait au prénom d’Honorine ,qui lui succéda à la direction du moulin.Conformément à la crainte de son père, elle devint une catholique très praticante et ne prit cesse, au déclin de la vie de ce père que l'on imagine tyrannique, de tenter vainement de le ramener à Dieu avec la complicité de cet ennemi intime du Père Dupoux qu'était le curé de Montclus. Quand Dupoux parvint au terme de sa longue et industrieuse vie (en 1854), sa fille appela le prêtre: le dialogue tourna court. Dupoux mit fin à l'entretien et le congédia par ces mots:- "Je ne discute pas avec les domestiques; je parlerai directement à votre patron, si je le rencontre là-haut".Le curé en garda, semble-t-il, une solide rancoeur puisqu'il refusa à ce mécréant une sépulture chrétienne dans le cimetière paroissial de Montclus. Et Dupoux fut enseveli au pied du marronnier qui existe toujours près de la route, et que tant de projets restés sans suite d'élargissement de la chaussée ont, jusqu'à présent, préservé.Cette fille épousa un garçon du pays, Reynaud Pierre Antoine dit «Cadet» (généalogie) né à la Combe de Montclus et ils eurent cinq fils. Ceux-ci eurent la particularité de porter pour trois d’entre eux - était-ce à la suggestion du grand-père Dupoux ? - des noms d'empereurs romains: Sylla(1846-1904), Auguste et Pompée. On ne sait rien de ce dernier. Sylla, lui, fut inquiété sous le Second Empire pour son activisme républicain. Il fut éxilé en Algérie et acquit une concession de 38 hectares à Miliana où il s'installa avec sa jeune épouse Marie Plaisant connue plus tard à Serres sous le nom de "la tante Sylla". Ils créèrent un village qu'ils appelèrent Littré et dont Sylla devint maire. Souffrant de paludisme, le couple revint à Serres et ouvrit une auberge.Auguste avait repris le moulin et l'exploita jusqu'au début des années 1900. Son fils, Eugène Reynaud, apprit le métier de ferronnier et s'installa à Serres. Artisan et artiste, on lui doit de remarquables oeuvres de fer forgé, de volutes de balcons et de rambardes, telles que celles qui ornent l'escalier de la maison de sa fille Mme Josuan, en partie occupée par l'étude notariale. Quant au moulin, il devint une scierie et fut loué jusqu'à la grande guerre, date à laquelle il cessa ses activités. 

(Les quelques lignes qui suivaient que je tenais des mémoires de M. Georges Reynaud, ancien propriétaire et maire de Montclus- et qui n'apportent rien à l'histoire- ont été supprimées ce jour 27 Juillet 2018 à la demande des descendants du propriétaire suivant qui les ont  jugées diffamatoires).
Dont acte. 

Le moulin fut ensuite loué par deux maçons italiens qui le convertirent en une petite usine à chaux, mais la production était dérisoire et ils firent rapidement faillite. En 1935, Georges Reynaud -cousin éloigné à la 7ème génération avec Pierre dit Cadet de La Combe - en fit l'acquisition. Il y installa la scierie et la menuiserie que dirigea ensuite son fils Jean lequel vient de cesser ses activités. Entre temps, le moulin avait été détruit et reconstruit selon un nouveau plan.Ce texte manuscrit, que je me proposais de lire et de retranscrire, me fut donc confié par Mme Josuan. Elle se réjouissait de pouvoir enfin découvrir le texte de ce trisaïeul, dont elle m'avoua avoir plusieurs fois tenté, mais sans succès, de décrypter l'écriture. Vers la fin de l'année, je lui adressais la retranscription provisoire et incomplète d'une grande partie de ce texte, dont elle me remercia très chaleureusement. Quelques semaines plus tard, elle décéda et disparaissait avec elle la dernière descendante connue du meunier Dupoux. Que penser d'un tel document? Rédigé au cours de sa vieillesse à partir de notes et de souvenirs, il est, selon son auteur, une réponse à tous ceux - et ils semblent nombreux, membres de sa famille ou voisins- qui lui reprochent l'extravagance de ses projets, le gaspillage qu'ils ont occasionné, et le suspectent d'avoir dilapidé les biens de son père. Le texte est à la fois une justification de ses choix et de ses échecs qu'il attribue à une succession impressionnante de malheurs et de fatalités dont il s'estime avoir été la victime. Il exprime avant tout des regrets et des frustrations d'un homme au terme de sa vie et qui estime avoir échoué dans tous ses projets. Il y défend aussi ses idées et en particulier son anticléricalisme et son déisme, s'interroge sur les fondements des religions et rappelle les règles de vie morale qu'il dit s'être imposées et avoir suivies. Cet opuscule éclaire une personnalité étrange, parfois peu attachante et sans affectivité quand son âpreté quelque peu névrotique au gain le conduit à comptabiliser les dépenses que ses enfants lui ont occasionnées en pure perte. Il est possible que son esprit d'entreprise fut disproportionné par rapport aux opportunités limitées que le moulin de Montclus et le pays serrois pouvaient offrir au lendemain des bouleversements et de la léthargie économique de la révolution. On se plaît à penser que s'il en était parti, - comme il regrette de ne pas l'avoir fait- il aurait pu devenir un bourgeois et un entrepreneur . Mais les éléments le plus intéressants de ce mémoire sont moins la lithanie de ses malheurs et le détail - parfois répétitif - de ses travaux d'aménagement permanents du moulin, que les informations qu'il nous livre, en passant, de la vie de l'époque: sa scolarisation, sa participation ratée à la défense de la patrie, son apprentissage de ses activités artisanales multiples, ses démêlés avec l'administration des routes, etc.Nous avons parfois été amené, pour le rendre lisible et compréhensible à corriger le texte, à introduire une ponctuation inexistante, à simplifier un style lourd, à compléter des bouts de lignes ou de pages manquantes d'un manuscrit détérioré et à modifier l'ordre du texte dont les pages non numérotées avaient été mélangées.Si vous passez à Montclus, jetez un regard sur le marronnier au pied duquel repose l'auteur de ce texte et sur le moulin où, il y a deux siècles, vécut le meunier Dupoux qui nous a légué ce modeste récit de ses "oeuvres et travaux".J P Pellegrin. 1997.

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